Biographie
1896–1928 Jeunesse et formation
© Hélène Decruck 2004, révisé par Matthew Welz Aubin 2015
Jeanne Delphine Fernande Breilh-Decruck naquit le 25 décembre 1896 à Gaillac, ville du sud-ouest de la France où son père était négociant. A huit ans, elle entra au Conservatoire de Toulouse où elle obtint un premier prix de solfège (1911), un premier prix de piano (1913) ainsi qu’un second prix d’harmonie (1917). En 1918, souhaitant intégrer la classe d’harmonie de Xavier Leroux, elle tenta et réussit d’emblée le concours d’entrée au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Elle eut pour professeurs Xavier Leroux puis Jean Gallon pour l’harmonie, Paul Vidal, pour la composition et l’orchestration, Georges Caussade, pour le contrepoint et la fugue et César Abel Estyle pour l’accompagnement au piano. Ses études furent couronnées par un premier prix d’harmonie (1919), un second prix de contrepoint (1921), un premier prix de fugue (1922) et un premier prix d’accompagnement au piano (1922). Elle obtint aussi les prix de fugue Théodore Dubois et Louise de Gouy d’Arsy ainsi que deux prix Fernand Halphen, l’un d’harmonie, l’autre de contrepoint.
Elle commença à étudier l’orgue avec Eugène Giguout en décembre 1922. L’année suivante, Jean Gallon lui confia le poste de répétitrice de sa classe d’harmonie. Elle contribua à la formation de brillants compositeurs comme Olivier Messiaen et sept de ses élèves obtinrent le prix de Rome. Au début de sa carrière, Fernande trouva souvent du travail comme improvisatrice pour les films muets. Le 29 janvier 1924, elle épousa Maurice Decruck, clarinettiste et contrebassiste originaire du Nord de la France et élève d’Edouard Nanny au Conservatoire de Paris. En 1925, la famille s'agrandit avec la naissance d'une fille, Jeanine <<Janine est une variante>>, puis d'un fils, Michel, en 1926.
A partir de 1926, année de sa nomination comme professeur d’orgue, Marcel Dupré l’initia à l’improvisation, art dans lequel elle excella rapidement. Fernande Breilh-Decruck appartient en effet à la première génération des grands organistes qui furent formés par ce maître. Comme lui, elle parvenait à improviser des pièces de concert en public, talent qui lui valut d’être engagée, à la fin de l’année 1928, pour une tournée de concerts d’orgue aux Etats-Unis et de devenir par la suite organiste solo des grands auditoriums de New-York, inclus le Wannamaker Auditorium.
Parmi ses premières compositions, figurent Soleil couchant pour piano (éd. A. de Smit, 1925) et Variations sur un air gallois pour orgue, dédiées à Marcel Dupré (éd. Leduc, 1928).
1928–1933 New York City
Fernande Breilh-Decruck vécut plusieurs années aux Etats-Unis avec son mari et leurs deux enfants Janine (née1925) et Michel (1926-2010). Ils avaient un appartement à Londres terrasse, un immeuble dans le quartier de Chelsea, à Manhattan et une deuxième maison à Forest Hills, Queens. Lors de son premier récital, le 5 avril 1929, au John Wanamaker’s Auditorium de New-York, elle improvisa une symphonie en trois mouvements sur des thèmes proposés par plusieurs compositeurs américains ; performance renouvelée par la suite au cours de chacun de ses concerts d’orgue.
Ce séjour américain vit la naissance de nombreuses compositions pour piano et orgue, dont Nouvelles - une série de pièces pour piano dédiées à Jeanne-Marie Darré - ainsi qu’une Suite ancienne en si bémol majeur pour orgue. Elle composa probablement à cette époque aussi ses premières œuvres de musique de chambre et orchestrale, parmi lesquelles il faut citer deux concertos, l’un pour orgue et l’autre pour violoncelle.
Après avoir obtenu un premier prix de contrebasse en 1924, Maurice Decruck intégra l’orchestre Lamoureux. En 1928 ou 1929, il fut engagé à l’orchestre Philharmonique de New York, alors sous la baguette d’Arturo Toscanini, comme chef de pupitre des contrebasses. Après une brillante audition, il devint par la suite également saxophoniste solo. En plus d’être un clarinettiste talentueux - il était titulaire d’un prix du Conservatoire de Valenciennes –, il maîtrisait en effet déjà la technique de cet instrument. Il avait effectivement joué du saxophone durant plusieurs années au sein d’un orchestre qui se produisait au Café de la Paix, afin de financer ses études.
Comme une saxophoniste classique, ses interprétations du Boléro de Maurice Ravel et des Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgsky orchestrés par Maurice Ravel étaient acclamées par l’orchestre et le maestro lui-même. Il écrivit, en collaboration avec son épouse, un ouvrage pédagogique pour cet instrument, L’Ecole moderne du saxophone, publié aux éditions Leduc en 1932.
Fernande Breilh-Decruck commença à cette époque à écrire ses premières œuvres pour le saxophone. Il est très probable qu’elle ait été dès ce moment en relation assez étroite avec les principaux acteurs de la naissance de l’Ecole française du saxophone, essentiellement François Combelle et Marcel Mule. Ces relations durent notamment être favorisées par les fréquents retours qu’elle effectua en France. Ainsi, Chant lyrique op. 69. pour saxophone solo et piano, qu’elle dédia à François Combelle, fut composé en1932 au cours d’un séjour en France long de plus de six mois. Avec cette œuvre, Fernande Breilh-Decruck fut la première femme à inscrire l’une de ses compositions au répertoire de la Musique de la Garde Républicaine. Chant lyrique fut en outre durant de nombreuses années donné, une fois sur deux, comme morceau de concours pour intégrer cette prestigieuse formation.
1933–1937 Retour à Paris
La carrière de soliste de Maurice Decruck fut brutalement interrompue par un accident qui le priva de la mobilité de l’une de ses mains. Il revint alors se fixer à Paris et fonda durant l’année 1932 « Les Editions de Paris », une maison d’éditions musicales spécialisée dans la musique de variété qui connut une certaine prospérité et contribua notamment à la découverte et au lancement d’Edith Piaf. Son épouse demeura près d’un an aux Etats-Unis avant de le rejoindre en avril 1933.
Fernande Breilh-Decruck écrivit peu après son retour de nombreuses pièces pour une large palette d’instruments à vent solo avec accompagnement de piano et composa des œuvres pour saxophone solo mais aussi des duos ainsi que des quatuors. L’un d’entre eux, Pavane (éd. de Paris-S.E.M.I, 1933), était dédié au Quatuor de saxophones de la Garde Républicaine, formation créée quelques années plus tôt par Marcel Mule. Elle composa également plusieurs trios pour hautbois, clarinette et basson, régulièrement joués par le Trio d’anches de Paris, ainsi qu’une Sonate pour piano. Donnée en première audition par la célèbre pianiste Jeanne-Marie Darré à la Société Nationale, en avril 1935, cette dernière obtint, selon la presse de l’époque, un vif succès.
Le 8 avril 1937, Fernande mit au monde un troisième enfant, Alain, naissance qui faillit lui coûter la vie. Six mois plus tard, elle fut nommée professeur au Conservatoire de Toulouse en classe supérieure de solfège.
1937–1942 Toulouse
Fernande partit s’installer seule à Toulouse avec ses trois enfants tandis que son mari demeurait à Paris afin de gérer sa maison d’éditions. Cette période fut notamment marquée par l’orchestration de Chant lyrique et l’écriture de deux grandes œuvres symphoniques : Les Illuminations, une symphonie pour orchestre, soprano, baryton, chœur et récitant et Symphonie orientale, un ballet librement inspiré des Mille et une nuits. Plusieurs de ses œuvres furent jouées en première audition par l’orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire. Marcel Mule interpréta ainsi Chant lyrique dans sa version pour orchestre, en mars 1938.
Elle démissionna de son poste de professeur à la fin de l’année 1942 et regagna Paris afin de faire connaître ses œuvres au public de la capitale et de consacrer entièrement à la composition.
1942–1947 Premières auditions à Paris
Fernande Breilh-Decruck se consacra dès lors à la composition. Elle écrivit deux concertos – un Concerto pour harpe et orchestre (1944) et un Concerto pour clarinette et orchestre (1946) - et plusieurs autres œuvres orchestrales avec un ou plusieurs instruments solo dont Hymne à Apollon pour harpe et orchestre (1944), Suite française pour orchestre à cordes avec soli d’instruments à vent (1945), Poème héroïque pour trompette, cor et orchestre (1946) ainsi qu’une suite concertante pour clavecin et orchestre nommée Les Trianons (1946). Elle créa également plusieurs œuvres pour voix et orchestre sur des textes de grands poètes français et sur des écrits datant de l’Antiquité : Poèmes chrétiens (1943), Poèmes de l’anthologie grecque (1944) et Tapisserie de Sainte Geneviève et Jeanne d’Arc (1946), un oratorio. Parmi les œuvres de musique de chambre - sonates, sonatines, trios, quatuors et nombreuses mélodies -, citons notamment une Sonatine en mi pour violon et violoncelle (1944) écrite à la demande d’André Asselin et de Paul Bazelaire, trois Trios pour flûte, violoncelle et piano et une Sonate en ut dièse mineur pour saxophone et orchestre, dédiée à Marcel Mule (1943).
Entre 1943 et 1947, plusieurs de ses œuvres majeures furent données en première audition par les Concerts Colonne, Pasdeloup et Lamoureux sous la direction d’Eugène Bigot, de Paul Paray ou encore de Jean Fournet. Les critiques parues dans la presse de l’époque furent en majorité très positives, laissant planer de grandes espérances quant à l’avenir de sa carrière de compositeur. José Bruyr écrivait ainsi à propos des Illuminations (Symphonie Rimbaldienne), sa première œuvre jouée devant un public parisien : « Les noms des musiciennes sont à inscrire sur des pétales de roses, disait Schumann. Inscrivions plutôt celui de Fernande Decruck sur une feuille de laurier. Il en faudrait beaucoup moins (que la Symphonie Rimbaldienne) pour donner à cette nouvelle musicienne la place à laquelle elle a droit en notre musique actuelle » (Aujourd’hui, 15 janvier 1944).
Après cette première audition remarquée, viendront celles des Poèmes chrétiens, chantés par Hélène Bouvier, de Cantique eucharistique pour soprano, violoncelle et orgue, interprété par Noémie Perugia, Georges Jacob et Paul Bazelaire, de l’Hymne à Apollon, dirigé par Eugène Bigot, du Concerto pour harpe et orchestre, interprété par Pierre Jamet, du Concerto pour clarinette et orchestre, interprété par Louis Cahuzac et finalement des Trianons, interprété par Marcelle de Lacour.
Pianiste de talent tout autant qu’organiste, elle joua elle-même en première audition plusieurs de ses propres compositions, notamment Huit pièces lyriques pour piano, l’une de ses Sonatine pour piano et son Concerto pour orgue.
1947–1948 Retour aux Etats-Unis
Fernande partit pour les Etats-Unis à la fin de l’année 1947 avec son fils Alain. Ils demeurèrent plusieurs mois à Marblehead dans le Massachusetts. Durant ce séjour, elle composa de nombreuses pièces pour orgue dont trois sonates pour grand orgue, Trois pièces pour cor anglais et orgue et une Suite renaissance pour trompette et orgue qu’elle dédia à Roger Voisin. Elle écrivit aussi Huit préludes pour piano et commença la composition d’un Concerto pour piano et orchestre, demeuré inachevé. Enfin, elle réalisa une réduction de l’orchestration de Poème héroïque pour le piano et composa une version de son Chant lyrique pour quintette à vent et piano.
Ses Trois pièces pour cor anglais et orgue furent jouées le 18 janvier 1948 par Edward Power Biggs au cours de l’un de ses célèbres concerts radiodiffusés sur CBS. Ce grand organiste fut véritablement enthousiasmé par ces trois œuvres, comme le prouve une lettre du compositeur à son fils Michel.
Après cette performance, Edward Power Biggs et Roger Voisin jouèrent par la suite sa Suite Renaissance.
1948–1954 Fontainebleau
A son retour des Etats-Unis, elle fut nommée professeur d’harmonie et d’histoire de la musique à l’Ecole municipale de musique de Fontainebleau. Cette dernière période de sa vie fut marquée par des difficultés matérielles. Définitivement séparée de son mari, dont elle divorça officiellement en 1950, et contrainte d’assumer seule l’éducation de son dernier enfant, elle écrivit de nombreuses musiques de films et donna, en plus de ses cours à l’Ecole de musique, des cours particuliers.
Son travail de composition consista principalement en la révision d’œuvres antérieures ou l’écriture de courtes pièces, comme Fantaisie-Prélude pour violoncelle et piano, Pavane pour hautbois, clarinette et basson ou Recueillement pour violon ou violoncelle et piano. Elle composa cependant plusieurs trios d’anches dont une Sonate pour hautbois, clarinette et basson, Variations en trio sur l’air du P’tit Quinquin, dédié au Trio d’anches de Paris ou encore Variations sur un air pyrénéen. Il semble cependant qu’elle n’ait plus véritablement composé à partir de 1950-1951.
Elle était titulaire des grandes orgues de l’église Saint-Louis de Fontainebleau. En 1952, à la suite d’un refroidissement contracté à l’orgue, au cours de la messe de minuit, elle fut victime d’une première attaque cérébrale qui la rendit hémiplégique et la diminua beaucoup physiquement. A partir de ce moment, sa santé, de tout temps déjà fragile, ne connut pas d’amélioration et elle fut finalement emportée par une dernière attaque le 6 août 1954.
© Hélène Decruck 2004, révisé par Matthew Welz Aubin 2015