À propos
C’était l’automne 2009, et j’étais jury au premier tour du concours de Van Rooy à l’école Hartt. J’ai entendu le musicien Scott Edwards qui jouait la Sonate pour saxophone (ou alto). La musique était sublime et je me suis empressé de demander à Carrie Koffman, jury à mes côtés et professeur de saxophone à Hartt : mais qui est cette compositrice, Fernande Decruck ? Elle m’a dit que la Sonate était un classique du répertoire pour saxophonistes, mais qu’elle n’en savait pas plus.
Je restais sur ma faim. Il fallait que j’en sache plus ! Decruck avait-elle écrit d’autres œuvres ? Y en avait-il pour cor (mon instrument), pour vents ou orchestre ? Pianoter sur Google me révéla rapidement des liens montrant quelques interprétations de la Sonate, mais pas grand-chose de plus, pas même une page Wikipédia dédiée à Decruck.
Enfin, au bout de la 17ème page référencée par le moteur de recherche, j’ai déniché une publication par un saxophoniste français, Nicolas Prost. L’article narrait quelques faits autobiographiques à propos de Fernande. Il révélait aussi un contenu des plus intrigants : une liste de ses autres œuvres. Il apparaissait que Fernande n’était pas une simple étoile filante sur la scène musicale. Au contraire, elle avait composé plusieurs oeuvres d’envergure pour les meilleurs interprètes et orchestres de son époque. Pourquoi n’en savais-je rien ? Où était passée sa musique ? J’ai alors commencé ma quête de Decruck.
J’ai creusé plus en mettant à profit les bases de données de bibliothèques spécialisées. Les bases de données m’ont renvoyé des œuvres de jeunesse pour instrument soliste et saxophone. Mais et ses grandes oeuvres pour orchestre ? Où étaient les partitions ? J’ai d’abord sollicité quelques-uns de mes contacts des bibliothèques françaises et américaines, mais sans succès. Finalement, après plusieurs années de recherche infructueuse, j’ai contacté Nicolas Prost directement. J’aurai d’ailleurs du le faire plus tôt ! En effet monsieur Prost m’a mis en relation avec la fille de Decruck, Jeanine, et sa petite-fille Hélène. En 2012, j’ai écrit un courriel à Hélène qui m’a tout de suite fourni plus d’informations concernant sa grand-mère, y compris un catalogue de ses oeuvres. Il se trouvait qu’Hélène avait déjà fait une recherche conséquente sur sa grand-mère en 2004. Il fallait que je voie cette musique...
En 2013, l'université d’état de Washington (qui m'employait alors) m’a attribué une bourse de recherche internationale me permettant d’aller fouiller dans les archives en France. En 2014, la même université m’a attribué le prix Meyer. Je suis retourné en France pour approfondir les recherches. Ces premières visites ont marqué le début d’une série d’entretiens avec les membres de la famille Decruck, et je n’ai eu de cesse depuis de promouvoir le travail de leur ancêtre. Là-bas, j’ai pu numériser toutes ses œuvres existantes. J’ai aussi numérisé les coupures de presse, les programmes de concert et les photographies d’époque. J’ai visité la Bibliothèque nationale de France où j’ai découvert encore d’autres manuscrits et documents éclairants.
Ma première production avec les oeuvres révélées de Decruck a été une collaboration avec Reeds Amis, un trio de femmes musiciennes de New York. Ensemble, nous avons travaillé à graver six trios d’anches (hautbois, clarinette et basson). Ensemble, nous avons sorti un disque intitulé The Reed Trios of Fernande Decruck. Les musiciennes ont depuis interprété les œuvres à travers le monde entier y compris à la conférence de l’IDRS (International Double Reed Society) à Tokyo, au Japon. Depuis ce premier disque, j’ai joué en public plusieurs des œuvres orchestrales de Decruck, aussi bien avec les Symphonies de Jackson (Michigan) que de Chelsea (New York). De nombreux artistes sont enthousiasmés par la musique de Decruck et plusieurs concerts et enregistrements sont à prévoir pour l’avenir, à commencer avec le concours International de Saxophone Fernande Decruck en Mars 2021 à Paris, en France.